15 Mars 2022
A la fin du IV° s. avant notre ère commençait le mouvement irrésistible vers l’Ouest des peuplades « barbares » qui bousculèrent les légions romaines de Pannonie.
Au III° s., la formidable poussée des Goths, envahisseurs germaniques, couvrit les territoires compris entre la Baltique et la mer Noire et repoussa les Sarmates qui avaient remplacé les Scythes iraniens. A leur tour, les Huns chassèrent les Goths mais, à la mort d’Attila en 453, ils furent remplacés par les Bulgares et les Khazars d’origine turque.
Venus du nord des Carpathes, les Slaves dits « orientaux » sont considérés comme les véritables ancêtres des Russes. Ils sont répartis en trois groupes.
Le premier groupe s’installa sur les terres de la Russie centrale, après l’effondrement des Huns. Le second se fixa dans les steppes en payant le tribut aux Khazars. Le troisième s’implantait dans les vastes forêts du Nord, pourvoyeuses de miel et de fourrures.
De rivières en rivières et de lacs en fleuves, naquirent des cités fortifiées près des confluents et des lieux de portage, où se multiplièrent les fortins et les villes de bois qui deviendront les principautés de Novgorod, de Smolensk et de Kiev.
Au cœur d’un territoire largement ouvert sur l’Europe du Nord, Novgorod attire très tôt les marchands scandinaves (et aussi les pillards) par son commerce intense vers le Golfe de Finlande. La Russie naîtra des nécessités commerciales et de l’expansion territoriale qu’elles impliquent ainsi que de l’organisation sociale communautaire et du travail collectif que le communisme n’a pas inventé.
Au 11ème siècle, la Chronique du moine Nestor, principale source d’information sur l’époque, indique que le prince Riourik, originaire du Jutland Danois, à la tête du peuple des Varègues Rus’ répondit vers 860 à l’appel des marchands Slaves soucieux de mettre un terme aux rivalités des petites cités et aux attaques des pillards (parmi lesquels les scandinaves figuraient eux-mêmes en bonne place !).
Il est établi que les Varègues furent à l’origine du premier Etat Russe et que leur prince, fondateur d’une entité nationale en devenir, en fut le premier souverain, à l’origine d’une dynastie qui devait régner jusque en 1598, installée dans la plus septentrionales des implantations slaves.
Le terme de Rus’ qualifiant le peuple des Varègues constitue la racine étymologique du mot Russie désignant aujourd’hui le pays.
Riourik s’installa à Novgorod et fonda la principauté qui sera active de 860 à 1139. Trois siècles plus tard, au faîte de sa puissance alors que la richesse des ligues marchandes atteignait son apogée, la cité ne fut jamais nommée par les visiteurs autrement que par le vocable respectueux de « Monseigneur Novgorod le Grand » !
Utilisant en grande partie la voie d’eau de la Volga au Dniepr, se constitua de manière pérenne une puissante passerelle commerciale de la Baltique à la mer Noire sous la protection d’un pouvoir armé. Car, pour les hommes comme pour les marchandises, la tradition du voyage par la Voie d’Eau restera une impérieuse nécessité dictée par les rigueurs hivernales, la configuration du territoire et son immensité.
Ainsi s’est constituée, de Novgorod à Byzance, la « Route des Varègues aux Grecs » qui est restée, pour des siècles, le symbole de la richesse, de la prospérité, de la pénétration de la culture et du rayonnement de Kiev, sur les deux rives du Dniepr.
En 882, Oleg, prince de Novgorod successeur de Riourik, descendit le Dniepr et s’installa à Kiev, après en avoir chassé les autres prédateurs scandinaves. Séduits par l’or de Byzance, attirés par ses richesses qu’ils convoitent, Oleg, puis Igor en 941, montaient des expéditions, tout en entretenant des relations commerciales privilégiées avec celle-ci. Chaque année, la flottille des marchands de Kiev descendait le fleuve, chargée de fourrures, de riches tissus, de miel et d’ambre de la Baltique avec lequel on fabriquait les perles protectrices, et les marchands ramenaient de leurs expéditions nordiques les produits de l’artisanat des régions de Carélie.
En 957, Olga, princesse de Kiev, veuve d’Igor, reçut le baptême chrétien lors d’un voyage à Constantinople. Cet événement capital, rompait avec les traditions païennes fortement ancrées dans le peuple mais son fils, Sviatoslav, refusa la conversion et passa son temps à guerroyer pour prendre le contrôle de l’immense Volga. Il mourut en 972.
A la fin du 10ème siècle, le mariage du Grand Prince Vladimir de Kiev avec Anne, sœur des empereurs byzantins Basile II et Constantin VIII, va décider du destin de la Russie en adoptant le monothéisme orthodoxe, catalyseur d’unification nationale et générateur d’échanges commerciaux avec la Méditerranée orientale.
Kiev, hissée au rang de « mère des villes russes» et capitale des princes de Russie, se trouvera à la charnière des influences grecques, latines et germaniques et verra naître dans ses monastères la spiritualité russe et une prodigieuse richesse dont toutes les villes de Russie lui seront redevables. Les objectifs de pénétration commerciale vers l’empire byzantin, les liens avec les cités caravanières et l’installation de comptoirs russes seront amplifiés par Yaroslavl Le Sage, pendant l’Age d’Or de Kiev de 1015 à 1054.
En 1037, le souverain fit élever une merveilleuse cathédrale, inspirée de Sainte Sophie.
Il est intéressant de noter que la fondation de Moskov (Moscou), attribuée à Iouri Dolgorouki, prince de Vladimir-Souzdal, n’est datée que de 1147 (Chronique d’Ipatiev, 1617) et que c’est en 1156, seulement, que son fils édifiera un fortin de bois (kremlin) sur une petite éminence dominant de trente mètres la rive gauche de la rivière Moskova.
Le temps des troubles, des invasions et des luttes.
L’ascension du duché de Kiev vers la richesse et la puissance financière sera brutalement stoppée par les dévastations des invasions mongoles de Gengis Khan, lancé à la conquête du monde. Entre 1237 et 1242, la Russie Kiévienne et la Moscovie furent ravagées par son petit-fils Batu. Les tatars de la Horde d’Or mettent le territoire en coupe réglée à l’exception de la Russie Blanche (de Belo : blanc, vierge de toute occupation, origine du nom de la Bielorussie). Au siècle suivant, le commerce réaffirmait ses droits et, moyennant de lourds tributs, les marchands reprenaient le chemin de Byzance, fer de lance de la résistance aux attaques des hordes asiatiques.4
Grâce à la pugnacité et au rôle déterminant de Ivan III le Grand, le joug Tatar fut définitivement brisé en 1480, mettant fin à plus de deux siècles de soumission.
Alors commença le rassemblement des terres russes et la réunion des principautés de Yaroslavl, Novgorod, Tver, Pskov et Perm, ainsi que du Khanat de Riazan. Il fallut trois siècles avant que la Russie ne se relève du joug, plus unie et cinq fois plus étendue qu’avant le règne d’Ivan par l’annexion des larges étendues des montagnes de l’Oural.
Mais 27 ans auparavant, une terrible nouvelle était tombée sur l’Occident chrétien, comme un coup de tonnerre : Byzance avait succombé à l’assaut des troupes Ottomanes, non sans qu’une partie de ses élites intellectuelles, de ses richesses, de sa culture et de sa philosophie n’aient pu rallier Florence qui, de ce fait, accédait au rang de « Nouvelle Athènes » à l’apogée de la Renaissance Universelle.
Sainte-Sophie devenait une mosquée et l’empire de l’aigle bicéphale s’écroulait dans la quasi-indifférence de l’Occident.
Ce jour-là, 29 mai 1453, la Route des Varègues aux Grecs, définitivement interrompue, entrait dans l’Histoire comme le souvenir d’une époque révolue !
L’Ukraine, une histoire complexe
Au fur et à mesure que se sont déroulés les siècles, l’histoire de l’Ukraine s’est complexifiée : en voici, ci-dessous, un bref résumé des éléments majeurs.
Depuis le 14ème siècle, le pays a subi de nombreuses partitions, revendications étrangères et agressions hégémonistes, notamment de la part de l’Union Polono-Lituanienne, qui fut fondée en 1385 et perdura jusqu’en 1795.
Les guerres russo-turques ont fortement impacté l’intégrité de l’Ukraine avec onze conflits majeurs dans la lutte pour la domination des Balkans et dans la Guerre des Détroits, à la fin du 19ème siècle, visant à interdire à la Russie l’accès aux mers du Sud.
Pour leur indépendance, les Cosaques Ukrainiens ont combattu sans relâche l’Union Polono-Lituanienne, puis l’Empire ottoman et, de tous temps, la Russie des Tzars, pour voir finalement leur territoire intégré à l’Empire russe, au début du 18ème siècle.
Au 20ème siècle, pendant la révolution d’Octobre 1919, la République populaire d’Ukraine a recouvré brièvement l’indépendance avant d’intégrer l’URSS en 1920.
Il faudra attendre 1991 et le démembrement de l’Empire soviétique pour que la République d’Ukraine accède de nouveau à l’indépendance nationale.
Essayer de comprendre le conflit d’aujourd’hui est une tâche tout aussi complexe car les motifs avancés pour justifier l’invasion s’appuient sur de fallacieux arguments, dévoyés de l’Histoire, et sur une récupération odieuse de celle-ci à des fins politiques.
Le fait que l’Ukraine soit le creuset historique dans lequel naquit la Sainte Russie peut-il être retenu, au mépris des accords et des traités, pour justifier une agression militaire inique dont le peuple est la principale victime ?
Comment peut-on dire que l’Ukraine, en tant que nation, en tant qu’entité étatique n’existe pas, ou n’aurait jamais existé ? Certains, chez nous, ont franchi le pas.
Comment justifier une prétendue « purge antinazi nécessaire » alors que cet argument s’appuie sur l’accaparement d’un épisode historique détourné à des fins politiques ?
Il faut se souvenir qu’en 1932, Joseph Staline déclenchait la « collectivisation du produit des récoltes ». L’Ukraine, grenier à blé de l’Urss, s’est vue dépossédée de toute sa récolte par une action que les historiens appelleront « opération Holodomor » (Grande Famine). Étalée sur une période de neuf mois, elle provoqua la mort de trois à six millions de personnes, et fut suivie de terribles représailles contre les paysans révoltés, qui seront exécutés ou déportés en masse et dont les villages furent rasés.
Les crimes perpétrés durant l’oppression stalinienne, jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, ont fait que les soldats allemands entrant en Ukraine furent souvent accueillis comme des libérateurs. Cela a suffi pour stigmatiser un peuple et de le qualifier dans sa généralité de collaborateur.
Hier comme aujourd’hui, écrire l’Histoire n’est en aucune manière le privilège des vainqueurs. Ils seront inévitablement les vaincus de demain.
Tenter de l’interpréter ou de la réécrire est criminel, insultant pour l’humanité, car cela conduit au négationnisme et à oublier que ce sont les peuples des nations qui l’ont écrite, souvent d’une plume trempée dans leur sang.
L’histoire des peuples est un bien commun à toutes les générations qui se doivent de le transmettre en toute impartialité : c’est l’exercice le plus difficile dans la conservation de la mémoire.
Pour une relation fidèle de l’Histoire, s’il l’on doit impérativement considérer et les moyens et l’objet, l’historien se doit de ne jamais les confondre.
Sa qualité première restera toujours l’impartialité, afin que l’honnêteté de son écriture porte la garantie d’une mémoire collective digne et juste.
*Internet, merveilleux outil, est hélas une arme à double tranchant qui a apporté la terrible facilité du « copié-collé », occultant la faculté de réfléchir et de penser par soi-même. Les fausses informations diffusées avec une incroyable facilité envahissent la toile. La vitesse et l’ampleur de la communication, par les réseaux qui les propagent, permettent de leur donner l’image de la vérité.
Jamais la réflexion du philosophe américain, George Santayana, n’a été aussi importante à méditer : « Les peuples qui ne réfléchissent pas sur leur passé sont condamnés à le revivre ».