15 Septembre 2021
Portrait d'une femme portant un pomander (v. 1538) Bartholomäus Bruyn l’Ancien
Après les affres de la Guerre de Cent ans, l'art de la parfumerie va se développer par l'entremise des villes italiennes depuis longtemps importatrices des senteurs orientales. Par contre les ablutions et les bains, jugés contraires à la morale religieuse (et à l'hygiène selon Ambroise Paré, à cause de la propagation des épidémies par la concentration des personnes dans les bains publics) furent abandonnés.
C'est tout naturellement à Venise, vers 1555, que fut rédigé le premier traité européen de parfumerie. La mode italienne par l'entremise de Catherine de Médicis introduisit en France le gant parfumé (on retrouvait là l'association médiévale des deux métiers). Les « peaux d'Espagne » imprégnées de senteurs voyageaient jusqu'en Angleterre.
Premier centre commercial européen, tant au Moyen-Age qu'au début de la Renaissance, Venise est aussi la première ville où marchandises importées et goûts raffinés font leur apparition.
Un observateur notait qu'à Venise, « tout n'était que senteurs, gants, chaussures, bas, chemises, et même les pièces de monnaie. Et comme si cela ne suffisait pas, on conservait sur soi des objets faits en pâte odorante et on tenait des couronnes d'ambre gris dans ses mains ».
Mais Venise n'est pas le seul lieu où l'on se préoccupe de parfums : dans toutes les villes italiennes, la noblesse se passionnera pour les senteurs. Les plus célèbres représentantes de la Renaissance italienne, Isabella d'Este, Caterina Sforza et Isabella Cortese, publient leurs recettes de fragrances. Les femmes portent des globes percés en argent contenant de l'ambre gris ou du musc. Ces globes portent le nom de « pomanders », qui vient du français « pommes d'ambre ».
A la cour de Ludovic le More, Leonardo da Vinci poursuit diverses expériences à base d'infusions de fleurs et d'herbes dans l'alcool, ou « acquarzente ». Il tente aussi l'enfleurage de fleurs d'oranger dans des amandes afin que l'huile d'amande s'imprègne d'une senteur florale.
L'introduction des orangers, jasmins et rosiers en Europe est une autre conséquence du commerce avec l'Orient. L'eau de rose connaît, en Italie, une popularité semblable à celle qu'elle avait en Perse. Jusqu'à ce que l'emploi du couteau et de la fourchette se généralise à la fin du XVIIe siècle, les convives se lavent les mains à l'eau de rose, et pas seulement en Italie. Celle-ci, comme d'autres parfums, est fabriquée dans les monastères.A Florence, la pharmacie du monastère Santa Maria Novella fournit la famille Médicis en essences florales (elle est encore en activité aujourd’hui).
Le XVIe siècle voit aussi la publication de nombreux ouvrages sur les plantes, qui contiennent des descriptions de leur usage comme médecines, parfums et cosmétiques. Les bois gravés qui accompagnent le Commentaire de Piero Andrea Mattioli sont d'une telle beauté que leur valeur illustrative est encore appréciée aujourd'hui. En 1555, Giovanni Roseto publie ses célèbres Secrets de l'art de la parfumerie, « pour l'enrichisement du corps et de l'âme ». Et dans son Magia Naturalis, Giovanni Battista della Porta (1536-1615) prône l'utilisation du verre, parce que non réactif, dans l'extraction des huiles essentielles et de l'alcool à partir des plantes. A la même époque les Vénitiens perfectionnent l'art de la fabrication du verre sur l'île de Murano.
Au XVe siècle, les Français ne méconnaissaient pas totalement l'art des senteurs. Hommes et femmes portaient de petits sachets, ou « coussines » dans leurs vêtements et conservaient leur parfum dans des flacons moulés en terre, les « cyclades de Chypre ». Mais les techniques de la parfumerie française étaient encore balbutiantes comparées à celles de l'Italie. Il faudra attendre le début du XVIe siècle et le règne de François Ier pour que le goût italien en matière d'arts, de mode, d'horticulture et d'architecture, commence à pénétrer en France et ait une influence majeure sur le mode de vie.
En 1533, le fils de François Ier, Henri II, épousait une noble florentine, Catherine de Médicis, événement qui allait entraîner de profonds bouleversements dans la culture française car la nouvelle reine apportait avec elle tous les arts et raffinements de la Renaissance italienne. Son parfumeur, Renato Bianco, installait à Paris une boutique sur le pont au Change.
Son alchimiste, Cosimo Ruggieri, s'établissait également en France. Et au siècle suivant, la faveur du parfum en France dépassait toutes celles qu'il avait pu connaître dans le reste du monde.
La région de Grasse, connue pour ses tanneries, fut favorisée par Catherine de Médicis pour produire des herbes et fleurs à parfum et devint le centre le plus important du parfum, succédant ainsi au berceau de la parfumerie française, Montpellier asseyant alors sa renommée sur la production de gants de cuir parfumés. Cette activité trouvera son lieu d’élection dans la bonne ville de Millau.
Mais dans le beau royaume de France tout le monde ne sacrifiait pas aux coutumes italiennes. Henri IV (1553-1610) notamment les considéraient comme trop maniérées et l'une de ses maîtresses dira de lui qu'il « puait comme charogne » !
L'art de la parfumerie s’était développé dans l'univers raffiné des cités italiennes, en particulier Venise qui en fut la terre d’élection. C’était la ville la plus riche d'Europe qui, grâce à ses comptoirs et sa flotte, eut le monopole des épices d'Orient, et le recueil publié en 1555, premier traité de parfumerie, recensait 328 préparations parfumées, constituant pendant plus de deux siècles la base de tous les livres traitant de l’art de la parfumerie.
Grâce à l'action de Marie de Médicis, ce fantastique réseau d'activité se concentra à Grasse qui traita bientôt rose musquée, fleur d'oranger, camphre, gingembre, clou de girofle, ambre, benjoin pour parfumer poudres, eaux, bains de bouche, huiles ou pommades.
L’image de « l’habit de parfumeur » rappelle qu'une codification sévère réglementant l'activité de parfumeur fut promulguée sous Louis XIV. Cet acte clôturait l’action de Marie de Médicis qui avait prononcé la séparation des Parfumeurs et des Apothicaires.
Grasse ouvrait alors la voie royale qui devait la conduire au statut de capitale mondiale des parfums, du tannage, de la ganterie etplusieurs quartiers de Grasse furent peuplés par les familles d’ouvriers des tanneries et d’employés de la parfumerie, si nombreuses qu’il fallut rehausser les maisons d’un ou plusieurs étages. Cette curiosité « architecturale » est encore visible aujourd’hui dans certains quartiers du centre historique.
La philosophie de lutte contre l’obscurantisme et de promotion des connaissances du Siècle des Lumières n’est pourtant pas parvenue à rétablir le concept d’hygiène corporelle pratiqué durant le lumineux 12ème siècle ! Préconisée par les religions, au motif que la propreté du corps reflète celle de l’âme, la pratique du bain héritée de l’Antiquité gréco-romaine fut condamné à la Renaissance car jugée amorale. Pourtant la purification corporelle fait l’objet de nombreuses recommandations dans la Bible et le Coran et le premier sacrement d’initiation chrétienne se fait par le baptême dans l’eau.
Pendant plus de deux siècles donc, le parfum servira à dissimuler les mauvaises odeurs par des senteurs lourdes, jusqu’à l’élaboration d’un hydrolat additionné d’eau de vie et de décoctions parfumées pour donner une eau de toilette légère permettant « la toilette sèche ».
Ainsi commençait l’histoire rocambolesque, mystérieuse et toujours controversée de l’Eau de Cologne et de la saga des Farina. Vers 1690, Gian Paolo Feminis, un colporteur émigré de la vallée d’Ossola, s’installait à Cologne, chez une tante qui tenait une boutique de produits français de luxe. Il serait l’inventeur de la formule de l’Aqua Mirabilis, commercialisée sous le nom de « Aqua Admirable », référencée en 1727 à l’université de la ville dont il était devenu citoyen.
En 1709, dans la même ville, un certain Jean Marie Farina ouvrait une boutique de parfums nommée « Jean-Marie Farina vis-à-vis la place Juliers ». Héritier de la formule, il créait « l’Eau de Cologne ». En 1806, un arrière-petit neveu homonyme, ouvrait une boutique à Paris, Faubourg Saint-Honoré et commercialisait la prestigieuse « Eau de Cologne » dont il revendiquait la création, créant ainsi la controverse.
En 1862 était créée la maison Roger & Gallet, détentrice et propriétaire de la signature Jean Marie Farina.
CONCLUSION
Raconter le parfum c’est écrire un conte merveilleux qui traverse les fragrances subtiles exhalées de la mémoire olfactive enfouie pour raconter l’histoire de toute l’humanité !
Souvenons-nous que, dès les temps bibliques, le parfum fut un instrument de séduction qu’employèrent les filles de Loth après la destruction de Sodome et Gomorrhe, et qu’il était largement diffusé à l’entrée des lieux de culte comme le Temple de Jérusalem où Marie-Madeleine achetait les parfums de prix pour verser sur la chevelure du Christ. Outre l’offrande aux dieux, le parfum s'imposa comme l’incontournable parure de la femme, comme si elle eut pu se vêtir de lui seul, et traversa les siècles, complice suave et discret de sa beauté, et complice aussi des secrets d’alcôve,indispensableélément de sa séduction et de son mystère.
Repliée au fond de sa lagune, isolée dans une mer fermée qui l’avait définitivement écartée des routes nouvelles du grand commerce avec les Nouvelles Terres, la Sérénissime avait vécu sa gloire et consommait sa lente et magnifique agonie.
Désormais, des armadas de nefs océanes espagnoles et portugaises ouvraient d'autres voies maritimes et ramenaient de nouvelles matières premières : vanille, tabac, girofle, cacao, cardamome, qui par l’effondrement des prix instauraient une inexorable et fatale concurrence.
La Sérénissime avait vécu sa splendeur et, dans une irréversible agonie, sombrait lentement vers les abysses de l’oubli.
De la splendeur passée il ne resta que le souvenir de l'ivresse du parfum et l’engouement pour le charmant petit flacon en cristal de Venise qui avait séduit toutes les cours d'Europe.