15 juillet 2022
La Provence traditionnelle arbore deux drapeaux différents, hérités des blasons des deux familles qui gouvernèrent, tour à tour, le territoire au Moyen-âge et jusqu’au rattachement au royaume de France.
Dès 1125, le blason d’or aux quatre pals rouge marquait la sujétion de la région à la famille des comtes de Barcelone.
En 1246, Charles d’Anjou, frère du roi Saint-Louis, devenait comte légataire*(1)par son mariage avec Béatrix, cadette des filles de Provence. Sans que disparaisse le drapeau « aux bandes catalanes », la bannière comtale fut constituée de lys d’or en semis, sur fond d’azur sommé d’une brisure rouge.
Un peu d’histoire…
Dès le VI° siècle avant l’ère chrétienne, des colons phocéens sont établis le long des côtes nord de la Méditerranée occidentale, depuis le massif alpin jusqu’à l’actuelle Catalogne. Selon les historiens Grecs, les terres occidentales étaient peuplées par des populations Ibères - sans doute depuis le II° millénaire - auxquelles se mêlèrent quelques éléments Celtes vers le III° s. av.JC. Il semble, en effet, que les courants migratoires celtiques successifs aient majoritairement évité la Catalogne.
A partir de 218 av.JC., les Romains colonisent progressivement le pays dans lequel se répand la culture gallo-romaine. En 476, l’abdication du dernier empereur, Romulus Augustule, signe le démembrement de l’empire : les Wisigoths s’installent à Barcelone, puis à Tolède.
A partir de 712, les Arabes*(2)pénètrent en Catalogne et repoussent les Wisigoths. Ils occuperont ensuite quelques points stratégiques contrôlant la Provence orientale comme La Garde Freinet, Gourdon et Sainte-Agnès.
Entre 737 et 739, avec l’aide des Lombards, Charles Martel reprend le Languedoc et la Provence et la conquête sera achevée par Charlemagne, entre 785 et 812, pour former à l’Ouest, la Marche d’Espagne qu’il confie à un baron : Wilfred le Velu (Guifré el pelut, en catalan).
Jusqu’au 13ème siècle, le territoire fera partie intégrante du royaume de France.
C’est au cours du 9ème siècle que prend place la légende du blason (l’écu d’or à quatre pals de gueules) qui serait à l’origine du drapeau catalan. Le siècle suivant verra la politique des comtes catalans se cristalliser autour de la défense contre les Omeyyades de Cordoue. Le comte Bérenger 1er va fonder ce qui constituera le socle de l’Entité Catalane en promulguant les usatges (recueil de droits coutumiers).
Le drapeau, histoire ou légende ?
La légende des quatre barres de sang est citée en 1551 pour établir que le blason des comtes de Barcelone doit les quatre pals de gueules au comte Wilfred. Lors de l’affrontement contre les Normands, victorieux mais blessé à mort, il reçut de son suzerain, Charles le Chauve, la récompense de sa bravoure : ce dernier trempa sa main dans le sang de la blessure et traça sur l’écu d’or les quatre barres sanglantes. Ainsi seraient nées les armoiries sang et or. Notons que l’héraldique a fait son apparition plus de deux siècles après cet épisode.
La réalité historique est tout autre et elle infirme la légende. Wilfred le Velu, comte d’Urgell et de Cerdagne, de Conflent, de Barcelone, de Gerone et d’Ausona, né à Prades en 840, est mort le 11 août 897 à la bataille de Solsona (Lérida) livrée contre les musulmans. Mais les légendes sont belles et constituent, néanmoins, le fondement de l’histoire par la puissance de la transmission mémorielle par le merveilleux.
Comprendre…
Quant aux « barres catalanes », présentées comme le plus vieux drapeau d’Europe au 12ème siècle, elles sont adoptées par le comte de Barcelone, Raymond-Bérenger IV (1113-1162). De son mariage avec la fille du roi d’Aragon il aura un fils, Alfons, qui fera des « barres catalanes » l’emblème de la maison d’Aragon sous le nom de Senyera real (enseigne royale), appelée dès lors, barres d’Aragon.
Ce même Alfons, dit le Batailleur, enverra en Languedoc son fidèle lieutenant, Ramon de Villanova, qui étendra jusqu’à Nice son action de rétablissement de la suzeraineté et de la sujétion des feudataires locaux au comte de Barcelone. Il reconstruira le château (aujourd’hui disparu) avant d’installer sa seigneurie, dominant le passage du Loubet*(3), d’où le vocable Villeneuve-Loubet désignant la localité située aux bouches du Loup.
Enseveli, selon son vœu, dans l’église abbatiale du monastère des Dominicains de Nice, sa tombe a disparu. Les travaux d’installation d’une école de théologie, au 15ème siècle, la restructuration de l’édifice abbatial au 18ème et la dispersion des communautés religieuses lors de l’entrée à Nice des troupes françaises, en 1792, ont apporté de profonds bouleversements structurels sur la place du Palais de Justice que les Niçois continuent d’ailleurs d’appeler place Saint-Dominique.
Comte légataire*(1). Pour préserver l’entité territoriale et l’intégrité d’un fief apporté par l’épouse, l’habile Romée de Villeneuve s’appuya sur la loi catalane interdisant à l’époux de briguer l’héritage constitué par la dot de sa femme. Il était donc légataire, mais non héritier.
Les Arabes*(2). Terme générique désignant les conquérants, majoritairement constitués de populations berbères christianisées sous l’empire romain, puis islamisées lors des conquêtes arabes du Maghreb. Hormis les chefs de guerres et les administrateurs, les Arabes ne représentaient qu’une infime partie de cette population.
Le Loubet*(3). Au 13ème siècle, la démographie est exponentielle. La nécessité d’ajouter un pré-nom au patronyme s’impose pour limiter les erreurs dues à l’homonymie. Le mot se répand, utilisé comme surnom désignant un individu surnommé Loup (fort, redoutable), ou Loubet (petit loup). Le vocable peut devenir patronymique. Ici le nom s’applique au fleuve, le Loup, dont le fort débit à caractère torrentiel peut doubler.
Les éléments de cette chronique sont tirés de l’ouvrage : « Tourrettes, d’hier à aujourd’hui ».
Ouvrage en vente au musée d’Art et d’Essais, O.T.I. Pays de Fayence et Atelier Au Temps des Mots, place du Terrail, 83440 – Tourrettes. Renseignements : 06 16 49 50 36.