L’immigration piémontaise
Elizabeth Duriez

15 avril 2024



« La Fransa l’è ‘l paradis ‘’dla pansa’’ » (La France c’est le paradis de la panse).
(En France, le problème de la nourriture n’existait pas)


Malgré l’unité italienne construite grâce à l’intervention de la France, et malgré la proclamation de Rome comme sa capitale historique en Septembre 1870, les relations France-Italie ne sont pas au beau fixe.Provence, Savoie, Piémont, et Ligurie sont des régions frontalières qui ont fait les frais des crises et affrontements violents quasi permanents.

 A la suite du Risorgimento, la conquête de Rome a une connotation anti française car le gouvernement italien profite de la chute du Second Empire pour s’emparer de la cité du Pape pourtant âprement défendue par le gouvernement français.

 Le fascisme mettra fin à cette fragile alliance et ses revendications territoriales concernant Nice, la Savoie et la Corse seront la base de la déclaration de guerre de l’Italie à la France le 10 Juin 1940.

 Bien que l’Italie ait perdu Tende et La Brigue à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’entente entre les populations des deux côtés des Alpes est tenace; Piémontais et Ligures émigrent toujours en Provence.

 Quels étaient les motifs majeurs de cet exode ininterrompu, véritable hémorragie vers la France d’hommes et de femmes jeunes. Deux conditions: la première est la situation particulière du monde paysan piémontais à la fin du XIXe siècle et la seconde, l’attraction d’une vie meilleure dans la France toute proche car les paysans n’avaient tiré aucun avantage de cette « grande Italie », sur le compte de laquelle le monde bourgeois s’abusait.

 « On était obligés d’aller en France pour demander l’aumône, comme faire les bergers à Barcelonnette. »(Andasiu a guardé, a fé ipaster.)(1886)

 Pourquoi la France Méridionale est un lieu convoité?

 Le changement est moins traumatisant car le Provençal est très bien compris vu sa ressemblance avec le Piémontais. Ensuite la facilité d’accès: absence de procédures administratives à l’entrée. Enfin, la culture, les habitudes et la religion catholique, qui sont communes.

 Mais ce qui attire le plus est la possibilité de gagner mieux sa vie souvent en exerçant le même métier.

 Ce qui surprend, c’est le désintérêt profond de la « fuite » de ces centaines de milliers d’Italiens de leur pays. Ce n’est pas un sujet de préoccupation des autorités politiques italiennes qui y voit plutôt un intérêt économique pour l’Italie.

 Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les masses paysannes ont payé un prix très élevé l’unification nationale. En Piémont, la crise frappa durement l’agriculture, amenant à l’effondrement des prix de ses principales productions. Certains secteurs de la bourgeoisie rurale en pâtirent, mais ce furent surtout les métayers, les journaliers, les salariés et les paysans pauvres qui furent frappés, voyant se réduire leurs misérables revenus. Entre 1876 et 1881 les campagnes autour de Saluzzo fournirent la majorité des contingents expatriés vers l’Amérique, tandis que la région de Cuneo fournit majoritairement des émigrés temporaires dans notre région et autres parties de la France. Les campagnes autour de
Mondovi et d’Alba parurent moins touchées, dans un premier temps.

 Les Italiens des régions-frontières pénètrent en France en vertu d’un phénomène naturel. Cette infiltration frontalière a joué en France un rôle considérable en raison des conditions historiques danslesquelles se trouvaient les régions niçoise et savoyarde et du « climat » particulier qui favorisa l’installation des Italiens suite à une très longue cohabitation franco-italienne. Ce sont ces Italiens-là qui fourniront le plus gros contingent de ceux qui se fixeront définitivement en France car ce sont des terriens. Dans le Sud ce sont des cultivateurs indépendants et il est donc naturel qu’ils y fassent souche.

 Les Piémontais qui émigrent vers la France sont pour une bonne part originaires de la région de Cuneo,comme déjà dit, car ancien département français en liaison étroite, depuis le début du XIXe siècle, avec les Alpes Maritimes, et aussi de la province de Turin.

 De 1873 à 1914 les statistiques italiennes comptabilisent 1,8 millions de sortie à destination de l’Hexagone, alors que l’effectif maximal de la population immigrée transalpine atteint tout juste 420.000
personnes à la veille de la Première Guerre Mondiale. 

La plupart sont très jeunes - moins de vingt ans - ce qui rend plus facile l’adaptation aux coutumes et à la langue. Mais il est difficile de dénombrer le pourcentage d’hommes et de femmes impliqués dans cette migration, même si les hommes restent les plus nombreux.

 Il n’y a ni loi ni règlements locaux en matière d’immigration. Mais pour celui qui souhaite aller à l’étranger et y demeurer, s’il commet des délits, peu import leur nature, et se trouve condamné à la prison mêmepour peu de temps, celui-là est expulsé du territoire de la République. La police a même le pouvoir d’expulser ceux qui se rendent coupables de troubles de l’ordre public. Si, par décret présidentiel du 2 octobre 1888 l’entrée en France est libre, il y a cependant quelques formalités à accomplir par les étrangers qui veulent y demeurer. Elles consistent en premier lieu en une inscription, dans les quinze jours suivant et, en second lieu, à la présentation au même magistrat d’une déclaration pour leur famille. L’infraction à ces dispositions est passible du tribunal de police et peut même aller jusqu’à l’expulsion, prononcée par le ministre de l’Intérieur. Ce type d’expulsion est rarement appliqué à nos concitoyens tandis que les peines pécuniaires leur sont sévèrement appliquées. La propension du patronat à préférer les italiens, plus sobres, plus travailleurs et moins exigeants pour leurs salaires, choque les organisations syndicales et les ouvriers qui en dénoncent la coloration anti-
patriotique.

Pour ceux de la première génération, revenir se faire inhumer dans la terre du village, que l’on n’a jamais revu, dont on a cessé de rêver et qui, dans la mort, devient un refuge sûr, le dernier refuge familial est primordial. Peu de témoignages existent de ces dernières volontés, mais une visite dans certains cimetières de villages les confirment. Sur les tombes de ces émigrés qui sont « rentrés chez eux » les inscriptions, apposées par les enfants ou les neveux, sont en français ou répondent à des pratiques françaises, comme ces livres de marbre ouverts, portant la mention « à mon père » ou « à mon oncle regretté ».. 

A la fin du XIXe siècle, beaucoup d’Italiens sont obligés de se naturaliser s’ils veulent travailler dans les emplois publics. Les pêcheurs, sans la nationalité française, n’obtenaient pas le permis de pêcher dans les eaux françaises, permis qui conditionne leur subsistance. 

Il est nécessaire de s’attarder sur l’émigration qui correspond aux vingt dernières années du XIXe siècle.

 En effet, l’arrivée massive des Piémontais met en lumière deux éléments importants, à savoir, la nature extrêmement mobile de leur présence, à la limite du vagabondage et leur état civil, surtout pour les plus jeunes et les femmes, qui constituent le véritable centre de gravité de l’émigration.

 Entre 1890 et 1920, l’émigration piémontaise est à son zénith, cette émigration est essentiellement constituée de sujets jeunes. Ce sont surtout des enfants mineurs de moins de 14 ans qui font le gros de l’émigration en France. Cette émigration prend ses racines dans une très ancienne habitude de « louage » des enfants qui, lors des migrations saisonnières classiques, caractérisait cette forme d’expatriation enfantine. 

Ici nous parlons d’enfants entre 5 et 13 ans. La Foire de Prazzo, en Italie, et Barcelonnette en Haute Provence étaient les centres de cette pratique de « louage ». En temps normal, une véritable « foire aux enfants à louer » s’y tenait, peu avant Pâques aux alentours du 20 Avril. En réalité, à Barcelonnette, tous les jeudis d’Avril, il y avait le marché des enfants en même temps que le marché aux bestiaux. A dix heures du matin, le marché était désert. La centaine d’enfants avait été tous loués. La misère est le vivier qui nourrit le trafic...

 Les enfants arrivaient de tout le Piémont, et par tous les moyens, mais le plus souvent à pied. Les parents les cédaient pour plusieurs mois -jamais moins de six - aux éleveurs ou autres. Leurs services étaient rémunérés par une somme donnée aux parents et qui pouvait osciller de 80 à 100 francs.

 Le fait qu’ait pu se développer vers la France méridionale un véritable courant de femmes et d’enfants italiens, émigrant sans leurs famille, et privés de soutien familial, constitue une particularité dans l’histoire des migrations en Europe.

 On parle de « bambini fitati » (enfants loués), surtout dans la région de Cuneo.

 Cette émigration sera différente avec l’avènement du fascisme et de Mussolini. Sa politique a donné le jour à un « climat » particulier, créées par une foule d’agents de propagande que l’Italie a envoyés en France pour entretenir dans les milieux de l’émigration italienne la volonté « d’être partout Italiens, avant tout Italiens, rien qu’Italiens ». Les conditions devinrent difficile non seulement pour l’émigration vers la Provence mais aussi pour la France entière, et les motifs de tensions entre Rome et Paris ne manquèrent pas.

 L’attitude de l’Italie fasciste eut pour conséquence d’amener les Français à voir dans les émigrés italiens une menace potentielle tout spécialement dans les régions frontalières.

 Rien ne va s’arranger au début des années 30. On assiste à des manifestations d’hostilité en réaction à l’appel fait à la main-d’oeuvre étrangère, essentiellement italienne.

 Malgré plusieurs décrets, dont celui du 20 mars 1933, limitant l’embauche des étrangers dans différentes professions, les dispositions fascistes contre l’émigration ne purent venir à bout de celle-ci en France.

Puisqu’on ne pouvait plus passer légalement, les passages clandestins depuis les montagnes vers la Provence devinrent très fréquents, surtout pour les Piémontais. Ainsi plus de cent mille Italiens vinrent s’établir entre La Roya et le Var dans les années qui suivirent la guerre. 

La chute du fascisme (25 Juillet 1943) et la conclusion de l’armistice avec les Alliés qui s’ensuivit (3 et 29 Septembre 1943) furent salués comme la fin d’un cauchemar et la reprise d’une amitié ancienne et jamais démentie avec la France.
Après la Seconde Guerre Mondiale, l’émigration italienne vers la France reprit car l’Italie occupée, vaincue et détruite offrait peu aux jeunes bras en quête d’avenir.

 Paroles d’émigré de Pietraporzio:
« La France est devenue ma femme alors que l’Italie reste ma maîtresse. La France c’est le pays où j’ai grandi, où j’ai tout connu. L’Italie c’est la nostalgie de la maison de mon père et ma mère et de ceux qui ont connu mes parents. Aujourd’hui mon pays c’est la France, j’en suis certain ».

 A Tourrettes, les anciens Tourrettans se souviennent de notre jardinier, Aldo. On aimait Aldo. On ne pouvait que l’aimer. Il parlait peu et travaillait beaucoup et toujours un mot aimable ou prêt à aider. J’ai su par Monsieur le Maire qu’Aldo est enterré dans notre cimetière communal, bien qu’il retournait, quand il le pouvait, dans son village natal.

 Plus ancien, il y a Antoine Dovetta.
Antoine ne sait pas lire, ni écrire. Il avait juste appris à signer son nom...Après le mariage de Louis-Désiré Allongue avec Marie Baptistine Fabre (sœur de Jacques Alexandre Fabre) le 14 Août 1825. Il deviendra leur domestique et homme à tout faire.Son nom apparaît comme témoin sur l’acte de décès de Marius Allongue, Tourrettan ayant fait fortune sous d’autres cieux (ceci est une autre histoire), mas né à Tourrettes en 1847 et décédé le 13 Janvier 1900 également à Tourrettes. Antoine Dovetta était son homme à tout faire. Il signe de son nom de famille en majuscule. Après ce décès il sera au service de la famille Bouge au château. On perd sa trace en 1914. J’ai retrouvé l’avis de décès d’un Antoine Dovetta à Marseille en 1930. Je ne peux que supposer qu’il s’agit du même Dovetta, mais je n’en ai pas la preuve,.