LE JAPON ET LE JAPONISME DANS L’ART OCCIDENTAL                                                      Gérard Saccoccini

Utamaro Beautés de notre temps 

En France, on doit la découverte des estampes japonaises à la création en 1862 de la boutique de curiosités extrême-orientales des époux Desoye, à Paris, rue de Rivoli, mais paradoxalement aussi grâce aux nombreuses estampes utilisées pour envelopper les produits de l’art d’Extrême-Orient : bibelots, porcelaines, jades, ivoires et laques ! 

  La boutique devient très vite le lieu de rendez-vous des amateurs de "japonneries" (selon le mot de Baudelaire), suscitant un tropisme d’intérêt correspondant à l’ouverture du Japon au reste du monde en 1868. L’irrépressible engouement crée l’effet de mode que favorisent les Expositions universelles de 1867 et 1878.

 C’est une véritable révolution artistique au cours de la période de "l’Art Nouveau", qualifiée de  "révolution optique", dont les effets se traduisent dans les arts plastiques. Elle est portée par une vogue orientaliste prodigieuse dont les artisans sont Edmond de Goncourt, Félix Bracquemond, Degas, Roger Marx et bien d’autres encore, soutenue, portée, par les récits de voyageurs retour d’Extrême-Orient et par la participation des délégations japonaises aux Expositions universelles.

  Lors de l’Exposition de 1867, par exemple, les visiteurs découvrent l’exotisme de la cérémonie du thé servi par trois geishas en kimono. L’Exposition de 1878 révèle à un large public l’ensemble le plus complet jamais montré en Europe de toutes les productions artistiques et les merveilles de l’ancien Japon. Chez les marchand d’art, les délicats chefs-d’œuvre de l’art japonais attirent les amateurs. 

   Concomitant de l’ère Meiji au Japon (1868-1912), qui correspond à la période "Belle Epoque" en France, le japonisme se répand largement et encombre les salons parisiens. Certains auteurs, comme Jules Champfleury, moqueront cet effet de mode des "japo-niaiseries" qu’ils considèrent ridicule et à contre-sens puisque le génie japonais s’impose principalement par le sens du dépouillement et de la rareté.

   Histoires d’amour légendaires, atmosphère feutrée des maisons de thé constituent le fonds de l’ukiyo-e, défini aujourd’hui par le vocable image du monde flottant, en référence au monde des hommes et de ses plaisirs. Le vocable "monde impermanent" pourrait proposer une traduction plus sensible, bien que la signification profonde en soit "mélancolie". Il s’agit d’un des mouvements artistiques les plus importants de la culture japonaise, couvrant la période de 1603 à 1868. 

Les objectifs de l’art de l’estampe ont évolué à travers les époques. A l’origine, l’estampe joue le rôle d’affiche publicitaire pour la mode, les cosmétiques, les maisons closes et, de ce fait, participe à une surreprésentation de l’image des courtisanes.

 En suivant les mutations de la philosophie des arts graphiques et l’évolution de la société, l’estampe devient un objet de décoration et une image plus représentative de la vie quotidienne des différents groupes sociaux qui composent la population. 

Mais c’est le paysage qui reste la partie la plus remarquable, la plus suggestive, de sa dernière lignée, par les intrications complexes d’arbres, de cours d’eau, de collines, de forêts, exécutés avec une compréhension très fine de la perspective et une précision technique sans précédent.

   La peinture de paysage chinoise des origines cherchait à capter les oscillations très lentes, presque immobiles, de la nature. En fait, c’est la Chine qui fixa le style et les principes de base de la peinture paysagiste orientale et son influence sur la peinture japonaise fut très forte. La dernière période de l’ukiyo-e va inviter l’œil du spectateur à ne plus contempler le glacis de la surface du verre d’une fenêtre mais à regarder au travers et au-delà de la vitre pour entrer dans l’univers du temps qui passe.

Le Japonisme est devenu une folie française dans les années 1880. Les artistes fascinés achètent pour quelques sous éventails, kimonos et estampes dans les grands magasins et boutiques spécialisées. Les peintres, subjugués, se débarrassent du modèle antique pour sacrifier à l’imitation du modèle japonais. En 1872, le collectionneur et critique d’art Philippe Burty a donné à cette révolution esthétique le nom de japonisme. 

  Parmi les plus grands maîtres de l’ukiyo-e, trois d’entre eux ont atteint la notoriété en Occident, même s’ils ne bénéficièrent pas dans leur temps de la même reconnaissance au Japon. Il s’agit de : Utamaro (1754 ? -1806), considéré comme le plus grand artiste classique de l’estampe, Hiroshige (1797-1858), créateur d’atmosphères douces et oniriques, et Hokusaï (1760-1849), maître des paysages réalistes aux riches couleurs.

   Tout a commencé en 1542, lorsqu’un navire portugais en route pour Macao avait essuyé une effroyable tempête qui l’avait drossé à la côte au sud de Kyūshū. Les rescapés furent à l’origine du premier véritable contact des Européens avec la culture du Japon. Accueillis avec bonté et courtoisie, voyageant à travers le pays, ils furent subjugués par la fertile beauté de sa terre, les richesses et la culture complexe et raffinée de son peuple.

 Avant la fin du 16ème siècle, grâce aux échanges commerciaux qui furent tissés, de très rares amateurs en Occident purent ainsi découvrir les effets impressionnistes, la philosophie des sentiments et des sensations directement liés à la nature, exprimés par les peintres chinois du paysage. 

  L’ukiyo-e, à son apogée, a insufflé une nouvelle vie à l’art occidental et proposé aux impressionnistes et aux artistes de l’Art nouveau une parenté de vision qui a uni leurs œuvres dans la tentative de saisir la fugacité du temps et la poésie des éléments, soit en confortant leur vision propre, soit en la modifiant.