UNE REINE D'ALBANIE À TOURRETTES ...               LA ROSE BLANCHE DE TIRANA                  Elizabeth Duriez


                    Géraldine coiffée de son diadème de diamants aux motifs de roses et du casque de Skanderbeg, présent de mariage de son époux le roi Zog.                                                         


  En faisant des recherches sur l’histoire de Tourrettes, on fait parfois des découvertes inattendues….

   Au début du XXe siècle, les 1% les plus riches percevaient environ 20% du revenu global avant impôt dans les pays occidentaux. C’est l’âge d’or des rentiers, de ceux qui ont récolté les fruits de la seconde révolution industrielle et qui vivent de leur patrimoine industriel, foncier et immobilier. Beaucoup sont originaires des Etats-Unis. Les riches Américaines venaient en Europe en voyage d’agrément principalement à Londres ou à Paris. Comme nous dirions aujourd’hui: « Places to be! »

Gladys Virginia Steuart

  C’est lors d’un de ses voyages que Gladys Virginia Steuart, fille de descendants de la noblesse écossaise ayant émigré en Amérique au XVIIe siècle, rencontre à Paris lors d’un dîner privé à l’Ambassade des Etats-Unis, un homme extrêmement élégant, raffiné, et fort séduisant Gyula Rudolf Apponyi; une des plus vieilles familles de la noblesse hongroise.

Comte Gyula Appony

 Le mariage a lieu en Juillet 1914 à Genève. De cette union naîtrons trois enfants dont Géraldine Margit Virginia Olga, comtesse Apponyi le 6 Août 1915 à Budapest. Ainsi grâce à son entourage, Géraldine parle hongrois, anglais avec sa mère, allemand car elle fait sa scolarité au couvent du Sacré-Coeur de Pressbaum près de Vienne où toutes les jeunes filles de l’aristocratie autrichienne et hongroise y sont inscrites. (Plus tard, on rajoutera le français).

 La Première Guerre Mondiale a démantelé l’empire austro-hongrois et des tensions apparaissent y compris  au sein des grandes familles. Celle de Géraldine n’y échappe pas. Aussi lors de vacances chez la tante Fanny Karolyi, celle-ci décide de créer une sorte d’école botanique: le Club du Tournesol afin de réconcilier la jeunesse. Au club du Tournesol, qui a une vocation éducative et sociale, il n’est pas question de se laisser appeler par son prénom. Encore moins « comtesse » ou « baronne »! La règle veut que les petits garçons soient des poissons, les fillettes des fleurs sauvages, les jeunes hommes des arbres ou des arbustes, et les jeunes filles, des fleurs. Ainsi Géraldine se voit-elle baptiser « la rose blanche ». Un poétique surnom que les Hongrois, fiers de leur compatriote, populariseront en hommage à sa beauté sous l’expression plus officielle de « rose blanche de Hongrie ».

   Le comte Gyula Apponyi meurt au printemps 1924 à 48 ans. Gladys se retrouve veuve à 33 ans avec trois enfants dont un bébé de cinq mois. Dès le mois de juillet 1924 elle veut fuir Budapest où elle a été si malheureuse. Les Strale, sa famille américaine, viennent de s’installer à Menton et l’invite à les rejoindre. L’invitation arrive à point nommé. Sans hésitation, elle prend le premier train pour la Côte d’Azur avec enfants et bagages. Le séjour sur la Côte devait être provisoire, mais à Menton Gladys se sent peu à peu revivre. Le soleil permanent apaise la douleur et rend la vie plus gaie et animée. Les filles vont dans une école anglaise très réputée de Menton. Nous sommes en 1925. Bien que tout le monde porte le deuil, Gladys sort souvent. Pourtant sa bonne humeur se gâte chaque fois qu’arrive des nouvelles de sa belle-famille où il est question de « retour des enfants en Hongrie » ou, à défaut, de « couper les vivres ». Et pour compliquer les choses, Gladys et Mme de Strale, grand-mère des enfants, ne se parlent plus! Pour cause! Gladys a épousé le lieutenant-colonel Gontran Girault dans une petite chapelle de la Côte sans en avertir personne. A la stupeur des enfants, Gladys leur apprend qu’il est leur nouveau père.

 Bien qu’auréolé de faits militaires d’une remarquable bravoure durant la Première Guerre mondiale, il a, aux yeux de Mme de Strale, le double défaut de n’être point « né »et de ne pas avoir de fortune personnelle. En effet, il est un « pur jus » des notables de la IIIe République, c’est-à-dire radicaux-socialistes convaincus. Les Girault ne croient pas à grand-chose, ce qui afflige particulièrement les Apponyi, qui n’ont jamais caché leur désir  de donner une éducation religieuse poussée à leurs enfants. De ce second mariage naîtront un garçon et une fille. 

 En 1929, les Girault partagent leur temps entre Nice et Tourrettes, dans le Var, où ils ont acheté une immense propriété qui jouxte l’aérodrome. Gladys n’aimera jamais « Les Peupliers ». Pour les enfants, ces dizaines d’hectares vallonnés seront un véritable paradis. Géraldine ira à l’école à Nice, puis plus tard, elle viendra souvent en villégiature, en moyenne tous les deux ans ,à Tourrettes où elle aime dorloter ses petits frères et sœurs. De plus ses relations avec son beau-père sont amicales.

   1937: Géraldine a vingt-deux ans. Pour les critères de l’époque, cela commence à devenir embarrassant. Ballottée d’une maison à l’autre, elle est la parente pauvre que l’on cherche à marier en mettant en avant sa beauté pour compenser son absence de dot.

Zog 1er roi d'Albanie

 On a dit tout et son contraire sur la rencontre entre Zog 1er d’Albanie et Géraldine Apponyi. Oui, cette rencontre a été arrangée. La Hongrie et l’Albanie ont, avec ce mariage joué une partie diplomatique. Comme sa mère, Géraldine épousera un homme vingt ans plus âgé qu’elle. Comme sa mère, elle l’épousera un an avant la Deuxième Guerre mondiale en avril 1938, devenant ainsi reine d’Albanie. La dernière.

 En juin 1939, elle met au monde son fils unique Leka. Mais quatre jours après l’accouchement, le couple s’enfuit en Grèce, évitant l’invasion de l’armée mussolinienne en Albanie avec à la clé une éventuelle capture… Commencera pour eux de longues années d’errance et de souffrance. Après la Grèce, ce sera la Norvège, les Pays-Bas, l’Angleterre, puis l’Égypte, puis la France où ils s’installeront à Cannes.

 Toutes ces années d’exil et d’humiliations vis-à-vis des Albanais ont eu raison de la santé du roi Zog 1er, rapatrié en urgence en région parisienne où il finira ses jours à l’hôpital de Suresnes le 9 Avril 1961 à l’âge de soixante-cinq ans.Il sera enterré au cimetière de Thiais dans le carré ds musulmans. Son corps ne sera rapatrié en Albanie qu’en 2012, année du centenaire de l’indépendance.

 L’exil continuera pour Géraldine en Afrique du Sud. Ce n’est qu’en 2002 que le gouvernement albanais acceptera le retour de la dernière reine d’Albanie sur ses terres où elle mourut six mois après son retour au pays.

 Épilogue

- Le lieutenant-colonel Girault est mort en 1964. La propriété de Tourrettes a été morcelée et vendue à différents propriétaires. La Mairie a acquis la maison elle-même (à côté de l’école du Coulet) et  y a installé la Médiathèque.

 - Sylviane, la fille du Lieutenant-Colonel Girault et de Gladys Virginia Steuart a épousé en 1955 Maurice Muselier. Elle aura deux enfants dont Renaud en 1959, homme politique bien connu en Région PACA.

 - La propriété des Apponyi se trouve aujourd’hui sur le territoire slovaque sous le nom de Apponyi-Oponice à soixante-dix kilomètres de Bratislava et est devenu un hôtel de luxe.

 - Leka II, petit-fils de la reine, a épousé en octobre 2016 une franco-albanaise et vit en Albanie.    

 

Leka II (petit-fils) et son épouse