Mai 2025
La grande glacière Pivaut à Mazaugues
" Voici le quartier de Fontfrège (la Source froide). A l'ombre de peupliers, de saules et de chênes, là s'élèvent deux ou trois fermes et, dans leur voisinage, se creusent dans le sol rocailleux des espèces de puits qui, profonds de 20 à 30 mètres, en ont 15 ou 20 de diamètre et dont, haute de 2 ou de 3, la margelle forme une espèce de tour trapue que, chargée de cailloux qui résistent au vent, ferme un toit en cône aplati et que perce une porte ; ce sont des glacières. " (Excursion à La Sainte-Baume : les étapes d'un touriste en France - Marius Bernard - 1902).
L'usage et le commerce de la glace ont toujours existé dans le bassin méditerranée. Dans notre Provence, c'est à partir de la Renaissance que cette activité s'est fortement développée. Rapidement, elle fut contrôlée par les pouvoirs publics car la glace était utilisée de multiples façons : pour la conservation du poisson frais, des aliments, dans les hôpitaux, pour les boissons, en sorbets,... C'était un marché juteux, mais qui comportait des risques importants.
Tout au long des XVIIè et XVIIIè s., le Var a connu la construction de nombreuses glacières. Mais c'est dans le massif de la Sainte Baume que l'on en rencontrait le plus (une grosse vingtaine, peut-être davantage). Les plus vieilles se dressent dans le domaine de Fontfrège (signifiant en provençal "source froide").
Du XVII au XIXème les glacières de la Sainte-Baume, approvisionnaient Marseille et Toulon en glace fabriquée l'hiver et stockée dans ces immenses puits.
Une vingtaine de glacières subsistent à l'est du massif, principalement sur des terrains privés de la commune de Mazaugues. Avec ses 23 m. de haut, 19 m. de diamètre et une capacité de stockage de 3600m³, la glacière Pivaut est aujourd'hui la plus remarquable. Elle a été restaurée en 1997 par le Conseil Général du Var et est facilement accessible.
" A diverses hauteurs, des carrés de terrain sont entourés de parapets et constituent ainsi des sortes de bassins que la pluie remplit en hiver ; de la glace s'y forme et, lorsque l'homme qui les garde la trouve assez épaisse, les paysans d'alentour, qui répondent de loin à l'appel de sa trompe sonnant dans le silence des campagnes blanches de neige, viennent la précipiter dans ces puits où elle se prend en masse compacte et où elle passe l'été. " (Excursion à La Sainte-Baume : les étapes d'un touriste en France - Marius Bernard - 1902).
Le principe de fabrication n'était pas très sorcier. Le plus dur était de trouver l'endroit adéquat pour installer les bassins de congélation et pour construire les immenses réservoirs que sont les glacières. Il fallait en effet que le site se trouve à proximité de sources, qu'il soit le plus possible à l'abri du soleil, et qu'il bénéficie d'un courant d'air frais (principalement notre Mistral).
Été comme hiver, les gens s'affairaient autour des glacières, mais ils n'exécutaient pas le même travail.
En hiver, ils remplissaient les glacières. Depuis les sources qui jaillissent aux pieds de la Sainte Baume, on acheminait l'eau jusqu'à de grands bassins de congélation profonds d'une quinzaine de centimètres et pouvant contenir environ 250 mètres cubes chacun. A la faveur des nuits froides et des vents secs soufflant en bordure des bassins, l'eau se transformait en glace. Il fallait jusqu'à quatre gelées pour remplir un bassin. Le jour, les paysans du coin, embauchés pour "arrondir" leurs fins de mois, sciaient la glace en blocs et la charriaient jusqu'aux glacières où d'autres employés la tassaient et la compactaient au fond de ces immenses réservoirs. Les murs étaient recouverts de paille et de matière isolante. Puis une fois la glacière pleine, on la scellait à l'aide d'une triple porte.
L'été, le travail se faisait le soir et toute la nuit. Il consistait cette fois-ci à sortir la glace et à l'acheminer jusqu'aux points où les gens en avaient besoin, principalement les grandes villes (Marseille, Toulon, Aubagne,...) que l'on atteignait en une nuit. A l'aide de moules cylindriques, on extirpait la glace de l'énorme masse gelée. Ces pains étaient ensuite démoulés et chargés sur des charrettes, protégés de la chaleur par des couvertures de laine et de la paille. Une fois la charrette pleine, le charretier s'empressait de partir pour aller livrer sa précieuse marchandise avant l'arrivée des pêcheurs et le lever du soleil.
Le puits de la glacière : 23 m. de haut, 19 m. de diamètre pour une capacité de stockage de 3600m³
" Déjà à demi vide, l'un d'entre eux est ouvert. Verticale, une échelle qui part de sa porte descend vers les blancheurs qui miroitent, là-bas, au fond de ses ténèbres, et, nous gelant les doigts à ses barreaux de fer, nous y descendons avec elle. Un froid intense nous saisit dans ce trou sibérien ; la glace grince sous nos pieds, tandis que, en haut, le soleil flambe et, bottés, armés de pics, des ouvriers en font des ballots et en moulent dans de grands cylindres de fer les débris qui s'agglutinent. " (Excursion à La Sainte-Baume : les étapes d'un touriste en France - Marius Bernard - 1902).
Il faut savoir que, comme de nos jours, le premier venu était sûr de vendre toute sa marchandise. Aussi, tous les moyens étaient bons pour arriver avant les concurrents. Les plus riches s'équipaient de chevaux et fonçaient comme des fous sur les étroits chemins qui descendaient l'adret de la Sainte Baume et du Mourre d'Agnis jusqu'à Signes en direction de Toulon.
D'autres prenaient des raccourcis (tels que le Pont du Diable). Certains partis à la faveur des étoiles ne virent jamais le lever du soleil : les accidents n'étaient pas rares.
Chaque hiver, le domaine de Fontfrège pouvait fabriquer jusqu'à 3000 mètres cubes de glace et employait une soixantaine d'ouvriers.Mais au début du XIXè s., le développement du chemin de fer permit à la glace naturelle des Alpes de venir concurrencer les glacières de la région. Un peu plus tard, ce fut au tour de la glace industrielle. Elle sonna le glas de la glace naturelle qui résista jusqu'aux années quarante avant de succomber.
Flaque gelée de Sainte Baume. Le salaire moyen d'un ouvrier de la glace était de 3 Francs par jour, les 100 Kg de glace se revendaient alors 8 Francs 50 à Marseille qui garde encore le souvenir de cette époque au travers le nom d'une de ses rues : " la rue de la Glace ".
" Traînés par des chevaux, des palans la hissent au jour et, par un horrible chemin de montagnes, des charrettes l'emportent. Elle laissera, cette nuit, des traînées de gouttes" d'eau dans les villages de la route et elle arrivera, le matin, à Marseille, aux cafés de la Canebière, aux paquebots qui, grâce aux conditions de leur aménagement, lui feront faire le voyage de la Chine et du Japon. Et, assis en face d'un large paysage qui, avec, en plus, les collines du Var, est un peu celui de la Grand'Bastide, nous nous rafraîchissons avec des morceaux de glace rapportés de là- bas et nous revenons à l'hôtellerie. " (Excursion à La Sainte-Baume : les étapes d'un touriste en France - Marius Bernard - 1902).
source : randojp, merveilles du Var ( Jean-Luc Montfollet)