DE BARBIZON A L’ÉCOLE DE LA RIVIÈRE HUDSONLA PEINTURE DE PAYSAGE            Gérard Saccoccini

L’école de Barbizon et l’école de la Rivière Hudson sont-elles de simples mouvements artistiques ou de véritables écoles picturales ?

 Quels sont les points communs qui les relient ?

 Quels sont les courants d’influence qu’elles partagent et quelles en sont les origines ?

    Avant toute chose, il faut considérer la provenance et l’importance des voies parallèles qu’elles suivirent concernant la philosophie, l’évolution, le développement et les pistes formelles utilisées par les générations d’artistes concernés.

   Barbizon est le vocable qui désigne le foyer géographique informel qui reçut des groupes de peintres paysagistes animés par le désir de travailler « en plein air d’après nature », dans un élan pictural qui prit fin à la naissance de l’Impressionnisme.

 Vers 1850, des milliers de jeunes artistes d’Europe, de Russie et des Etats-Unis, inscrits dans les ateliers de Paris, s’y retrouvent avec leurs homologues parisiens. 

Bien qu’ils aient eu, chacun, une sensibilité, une formation, un statut social et un parcours différents, c’est autour du maître à penser, Théodore Rousseau, que s’est tissé le fil conducteur de leur travail qui procède d’une philosophie commune de révolte contre « l’académisme d’atelier », exprimée dans un berceau commun.

 Les peintres les plus connus de ce courant sont Jean-François Millet, J.B. Camille Corot, Charles-François Daubigny et Narcisso Diaz de la Peña. La plupart sont des exclus ou des rejetés du Salon officiel. 

  Leurs toiles, inspirées du Siècle d’Or hollandais et par la peinture anglaise contemporaine, favorisent la relation du quotidien, s’éloignent des drames mythologiques classiques et conduisent à l’abandon du formalisme.

 Leur règle : peindre sur le motif, se fondre dans la nature avec deux toiles par jour, une pour le matin, une pour l’après-midi, pour ne rater aucun effet de lumière. 

L’auberge Ganne était le point de ralliement pour la soirée d’échanges et de partage dans laquelle la fusion des idées préludait aux bouillonnements créateurs.

   Moqués par la presse, on les appela les « plein-airistes ». Leur désir de liberté, d’affranchissement des convenances de l’académisme, de rejet de la rigueur figurative a ouvert les portes à l’Impressionnisme, aux Nabis, aux Fauves et aux Expressionnistes. 

  Cela paraît suffisant pour justifier le terme « d’ECOLE ».

   Pour ce qui est del’Hudson River School, le vocable désigne également un mouvement artistique informel, groupant des peintres paysagistes fascinés par la beauté d’une nature grandiose et l’immensité des grands espaces américains. C’est parce qu’ils ont trouvé l’inspiration dans les paysages de l’Hudson Valley, comme les massifs des Adirondacks, des Catskill et des White Mountains, que ce nom lui a été donné.

 Deux générations d’artistes l’animent :

 la première, de 1820 à 1850, de sensibilité romantique, dominée par la personnalité de Thomas Cole (1801-1848), considéré comme le fondateur du mouvement,

 la deuxième, introduite par Frederic Edwin Church (1826-1900), élève du précédent, couvre la période de 1850 à 1880. Cette génération est fortement marquée par la technique du luminisme et par les influences de l’école de Düsseldorf que fréquentent de nombreux artistes américains.

 Le voyage en Europe est le dénominateur commun des peintres de la deuxième génération qui découvrent les œuvres des artistes de Barbizon.  

 Si l’on considère comme des étapes majeures les points suivants :

   d’une part, l’abandon de la discipline codifiée du paysage historique au profit d’une vision de la nature peinte sur le motif, avec une sincérité scrupuleuse ; 

d’autre part, la vision esthétique du paysage, sensibilisée par les courants romantiques, et naturalistes venus d’Europe ;

 et enfin, le groupe de peintres de l’Hudson River comme jalon essentiel de la construction de l’image américaine, constituant le mouvement le plus remarquable du XIX° siècle ayant touché toutes les disciplines artistiques des Etats-Unis ;

 on peut conclure qu’il y a là un souffle suffisamment puissant pour reconnaître une toute première et véritable ECOLE DE PEINTURE authentiquement nationale.  

 A l’instar de ceux de l’Hudson RiverSchool, parmi la centaine de peintres recensés sur la commune et en lisière de la forêt de Fontainebleau, aucun artiste de Barbizon n’a jamais revendiqué une quelconque appartenance à une école. Le terme d’Ecole de Barbizon est postérieur au mouvement et fut inventé en 1891 par le critique d’art David Croal Thompson, directeur de la filiale Goupil, Marchand d’Art à Londres.

 De même, on ne connaît pas avec certitude l’auteur du terme « Hudson River School ».

 Il semble que Clarence Chatham Cook (1828-1900), critique d’art de la Tribune de New York, en soit l’auteur en 1879.  

 Les deux mouvements sont nés à la même époque, au 19ème siècle, et leur durée respective s’étend sur une période d’activité concomitante, de 1820 à 1880 environ.

   Abstraction faite des particularismes propres, le fil conducteur en est le Romantisme, apparu au 18ème siècle en Europe, affirmé à travers le culte du héros. En France, l’année 1822 signe la naissance du mouvement avecLa Barque de Dante de Delacroix qui libère ses formes de l’héritage de la Renaissance et du Classicisme et déchaîne la critique.

 La France, l’Allemagne et l’Angleterre tiennent le rôle de pionniers et le Salon de Paris de 1824 en devient l’élément déclencheur avec l’exposition des maîtres anglais du paysage, et notamment John Constable avec La Charrette de Foin.

 La première génération des peintres américains du paysage en intègre les influences grâce aux voyages qu’ils entreprennent sur le vieux Continent.

 Au paysage-décor classique succède un paysage-émotion, tel le Cœur des Andes de Frederic Edwin Church, dans lequel la présence humaine n’est plus indispensable. Une même intimité spirituelle rapproche les artistes et permet au Romantisme de devenir l’expression du monde de l’inconscient. 

Le réalisme, strictement français à l’origine, avec Gustave Courbet, touche les peintres de la deuxième génération de l’Hudson River School et se prolonge jusqu'à l’orée du XX° s., produisant de nouvelles tendances comme le Tonalisme, l’Impressionnisme et le Naturalisme. 

  Le Luminisme, enfin, caractérise la peinture des artistes de la deuxième génération des peintres de l’Hudson River School. Il livre une approche plus réaliste et plus contemplative du paysage, accentuant l’importance des détails et le rendu d’une matière lissée, comme la toile Automne, de Thomas Moran, qui, après 1880, s’opposera à la technique impressionniste de Claude Monet.

 L’accent mis sur les effets de lumière d’Orage sur les Rocheuses, d’Albert Bierstadt, par exemple, atteste l’héritage des techniques des écoles européennes, notamment celui de Théodore Rousseau et les œuvres de l’école de Düsseldorf. Les plus belles expressions sont exprimées entre 1855 et 1875, une période au cours de laquelle tous ces artistes contribuent à la fondation du Metropolitan Museum of Art de New York. 

  Avec sa technique incomparable de mise en page de grands formats, conçue en Europe dans le massif alpin et appliquée à la restitution des paysages des Rocheuses, Albert Bierstadt est le dernier des grands représentants de l’Hudson River School.  

 Dès 1874, les amateurs et riches collectionneurs américains ne juraient que par la nouvelle technique de « peinture de plein air et sur le motif » venue de France.

 Ils créèrent ainsi un état de fait paradoxal car la philosophie et les buts recherchés par les paysagistes américains étaient très proches de ceux qui animaient les peintres de Barbizon. Ces proximités se sont développées et resserrées jusqu’après la fin du mouvement de l’Impressionnisme qui ouvrit la voie à toutes les pistes formelles de l’art moderne.

   Grâce aux artistes de Barbizon, tous les peintres de paysages du Nouveau Monde ont composé une ode à la nature en célébrant, en couleurs, la forêt dont la musique accompagne ces paroles indiennes des peuples indigènes des Montagnes Rocheuses.

 Quand la forêt murmure, les arbres parlent entre eux. 

Ils parlent aussi à ceux qui les écoutent et au sage qui se tait pour entendre leurs voix.

 Ils portent toutes les voix de la nature et enseignent le pouvoir et la magie des mots :

 Le parfum du vent lavé par la pluie du matin, et aussi le bruit ténu des saisons,

Comme la déchirure du bourgeon qui éclate et le froissement des feuilles qui se déroulent,

 Tous les bruits de la Nature…

 La Nature précieuse car elle apprend à l’homme le respect de la Vie…