HISTOIRE DU PARFUM GÉRARD SACCOCCINI

Le mot " parfum " est un dérivé du mot latin "parfumare" signifiant "à travers la fumée"

 Depuis l’origine des temps, l'homme s’interroge sur les fondements de son existence. Procédant des mêmes interrogations sont nées les religions. Aux prémices des temps historiques, des textes mystérieux semblent révéler une autre forme de connaissance, comme un élément d’équilibre entre physique et métaphysique, entre certitude et foi. La science, cette autre religion, est née au terme d’un long et patient cheminement déductif de la pensée raisonnée pour répondre à ces questions.

 Couchés sur des parchemins, des tablettes, des papyrus, ces textes étranges apparurent simultanément de l’Orient à l’Occident, parlant de spiritualisation de la matière et de matérialisation de l’esprit. Tablettes de Mésopotamie, textes védiques et papyrus d’Égypte sont les plus anciens traités alchimiques connus et déchiffrés, mentionnant un fluide (hataka en védique) capable de changer le bronze en or pur ! Du fait de son caractère universaliste, l’alchimie traita toutes les matières et par conséquent se trouve à l’origine de la naissance de l’aromathérapie et de la médecine.

 Devons-nous encore continuer de penser que les veilles laborieuses des alchimistes n’eurent pour but que la recherche de quelques formules de fabrication de l’or ? 


   INTRODUCTION 



A l’aube des grandes civilisations, à Sumer, en Égypte, en Chine ou en Inde, comme chez les Étrusques, les Grecs et les Romains, s’ouvre le parcours initiatique complexe qui, depuis l’aromathérapie en passant par l’alchimie, conduit au parfum.

 L’usage des plantes aromatiques remonte à la plus haute antiquité et leur emploi semble, de prime abord, avoir été réservé aux cultes, peut - être parce que leurs senteurs étaient sensées devoir plaire aux dieux - mais plus vraisemblablement parce que les sucs, les sèves et les extraits des plantes aromatiques servirent à l’embaumement des défunts et à la conservation des corps.

  La préparation des onguents et des fards, ainsi que l’assemblage des fragrances naturelles, fixées dans des boulettes de cire, avait lieu dans les temples et resta longtemps un secret d’initiés que ceux-ci livreront plus tard, à prix d’or, aux particuliers. Modestes plantes de nos campagnes ou flore exotique des lointains pays de l’Orient mystérieux, les herbes nanties de leurs vertus médicinales, fraîches, fanées ou séchées, entrèrent dans une pharmacopée savante utilisant, dans le secret des officines « d’espiciers » et apothicaires, les confections de concrètes, d’huiles essentielles, de résinoïdes et d’onguents pour la santé de l’homme.

 L’incessante quête de nouveauté, dans la parure féminine, introduisit une fascinante recherche pour arracher aux plantes leur âme odorante, cette essence suprême appelée huile éthérique ! Ainsi prenait corps, peu à peu, la naissance de l’industrie du parfum.

 Espiciers du temps jadis, apothicaires et pharmaciens avec « leurs pères et bon maîtres » médecins, anysetiers et autres gantiers parfumeurs (devenus parfumeurs par lettre patente royale) seront les héritiers de la « science des herbes du soleil ».


   AROMATHÉRAPIE - HERBORISTERIE

 L’Aromathérapie, science de l’utilisation des huiles aromatiques extraites des plantes pour leurs vertus curatives, procède d’une longue et minutieuse observation des comportements du monde animal. Les produits huileux, volatils, odorants sont extraits par distillation avec l’instrument d’extraction le plus ancien connu, qui deviendra l’alambic, découvert début 20ème s., en Mésopotamie 3500 avJC.

 Au moyen de la vapeur d’eau, on extrait les eaux florales et les huiles essentielles utilisées au Moyen Age pour leur vertus antiseptiques, diurétiques, carminatives et antispasmodiques. La distillation des jus fermentés permet d’obtenir les eaux dites de vie (aqua mirabilis à la Renaissance). L’alambic (al-inbiq), permettant la distillation par l’alcool (al kohl : poudre d’antimoine) aurait été inventé au 8ème s. et vulgarisé au 11ème s. par les universités de Salerne, de Montpellier (Mons Pistillarius), puis de Tolède au début du 16ème s. Sumériens, Hittites, Grecs et Romains utilisèrent largement les huiles essentielles dans les rituels funéraires, l’embaumement, le culte, la purification, l’hygiène corporelle et les jeux au quotidien.

   L’Herboristerie procède de l’art des « espiciers » du Moyen-Age, venus s’installer près des grands ports commerçant avec l’Orient et, au 11ème s., à Montpellier dont le nom latin désigne le lieu où se concentraient leurs échoppes. Ils sont à l’origine de la connaissance des vertus des plantes médicinales. Réservées aux cultes religieux, les plantes répertoriées, classées, ont constitué la base d’une pharmacopée traditionnelle, proposant une foule de tisanes salutaires, parfois dite « de grand’mère », préparées par l’herboriste (aujourd’hui disparu). Le métier d’apothicaire et la pharmacie moderne tirent leurs origines dans la naissance de la faculté de médecine de Montpellier.

 Ainsi, aux 11ème et 12ème siècles, grâce aux Croisés et aux Compagnons de retour d’Orient, les alchimistes purent répandre leur savoir au travers de leurs réseaux complexes et des passerelles de grand commerce, développant une SCIENCE DE CONNAISSANCE ESTHÉTIQUE DE LA MATIÈRE !

   LES PARFUMEURS – L’HISTOIRE DU PARFUM

 Le mot " parfum " est un dérivé du mot latin "parfumare" signifiant "à travers la fumée". A l’aube de toutes les grandes civilisations, le parfum est présent et ses substances odorantes sont utilisées autant pour les rites religieux que pour les plaisirs de la vie quotidienne et le rituel de la toilette et du maquillage. Les belles Étrusques utilisaient de petites boules de cire enfermant des pétales broyés, que l’on tressait avec les cheveux. La fragilité de ses senteurs donna à l’homme l’idée de faire bouillir les herbes, écorces odoriférantes et fleurs pour exprimer les sucs parfumés, par un long travail d’analyse empirique qui va amener l’homme à la technique de la récupération en vase clos, l’ambikos (origine de l’alambic) pour extraire l’huile essentielle. 


Ce processus subtil d’extraction des sucs odorants était connu depuis les hautes dynasties égyptiennes et fut amené à son point de perfection sous les Ptolémées. Les conquérants arabes qui donnèrent à l’Egypte le nom de Kymi (Terre noire) furent subjugués par le procédé qu’ils nommèrent Al Kymi, terme à l’origine du mot alchimie.

 Ramenés d’Alexandrie par les Vénitiens, les grimoires poussiéreux remplis de comptes rendus d’expérimentations et de recherches fiévreuses, furent disséminés dans les monastères du « désert » lagunaire. C’est là que serait né le procédé de séparation par la vapeur, dans un alambic, constitué de la cucurbite où s'opère l'ébullition et du chapiteau où se déposent les vapeurs.

  LE PARFUM EN OCCIDENT

 Au Moyen Age, les senteurs diffuses, discrètes, à dominante douce, semble avoir recueilli la faveur d’une société qui découvre, à côté d’un nouvel et subtil art de vivre, l’usage des bains, l’hygiène corporelle, les plaisirs raffinés des massages, les boules de savon arabe et les eaux parfumées (eau de rose notamment). Les appareils de distillations font leur apparition au 14ème s. et vont permettre l'obtention des Quintae essentiae. Alors que, seule l'huile de térébenthine représente l’huile essentielle.

   La prise de Constantinople par les Ottomans, en 1453, amène à Venise une multitude d’artisans des senteurs. C’est là que va naître la parfumerie moderne, aux prémices du 16ème s. Les échanges réguliers avec les Flandres et l’Allemagne, attirent à  Venise une multitude de savants et botanistes qui accompagnent les riches marchands, améliorent l’alambic et s’orientent vers une parfumerie de laboratoire dans laquelle les alcools sont prédominants. Le " Liber de distillatione " du napolitain Giovanni Battista della Porta, en 1563, permettra de spécifier clairement huiles grasses, huiles essentielles et la manière de séparer les essences des eaux distillées aromatiques.


 Il prône l'utilisation du verre (parce que non réactif), ce qui pousse les Vénitiens à en perfectionner la fabrication sur l'île de Murano.

   AU MOYEN ÂGE, L'EUROPE DÉCOUVRE LE PARFUM.

 Les échanges avec l’Orient mettent le parfum au goût du jour et amènent en Europe des produits (potions, peaux parfumées), des matières premières (épices, musc, ambre…) et de nouvelles techniques arrachées au secret des monastères. La salsepareille aux vertus sudorifiques, le millepertuis et l’armoise entraient dans les préparations pour lutter contre le paludisme dans les abbayes comme Montmajour.
En 1190, la corporation de parfumeurs gantiers voit le jour par privilège de Philippe Auguste. Les bains parfumés se développent et les nouvelles senteurs de musc, d’ambre, de santal, de girofle et de myrrhe venues d'Orient, s'ajoutent aux senteurs de rose, jasmin, lavande et violette.

 En 1320, un moine met au point la dissolution des senteurs dans l'esprit de vin. La première distillerie s’installe à Modène. Cette eau nouvelle qui brûle le palais reçoit les noms d'aqua mirabilis (eau merveilleuse) et d'aqua vitae (eau-de-vie). Les premiers véritables parfums (huile essentielle dans de l'alcool), sont appelés “eaux de senteur”.

   Au 14ème s., apparaît le premier substrat alcoolique parfumé : la célèbre " Eau de la Reine de Hongrie ", à base d’esprit de vin, de fleur d'oranger, de rose, de mélisse, de citron et surtout de romarin. Véritable panacée, elle protège de tout, même de la peste. Selon la légende, l'ermite qui composa cette fragrance et la présenta à la reine aurait assuré qu'elle lui conserverait sa beauté intacte jusqu'à sa mort.

 Coussins aux pétales de rose, pommes à senteurs, piquées de nombreux clous de girofle, d’où vient le nom de pomanders (bijoux contenant des boules odoriférantes) rendent, croit-on, moins vulnérable aux épidémies. Les chapelets odorants et fourrures imprégnées participent à l'atmosphère parfumée des demeures princières et imposent l'idée que les bonnes odeurs ont des vertus thérapeutiques et apothicaires. En même temps, le parfum redevient un élément de la séduction.


  LA RENAISSANCE et le PARFUM à la MODE d’ITALIE  

L'art de la parfumerie se développe depuis les cités italiennes. En revanche on abandonne les ablutions et les bains publics, contraires à la morale religieuse (et à l'hygiène selon Ambroise Paré, pour cause de  propagation des épidémies.

   La mode italienne par l'entremise de Catherine de Médicis introduit en France le gant parfumé (on retrouvait là l'association médiévale des deux métiers).

 L'introduction des orangers, jasmins et rosiers en Europe est  une autre conséquence du commerce avec l'Orient. L'eau de rose connaît une popularité semblable à celle qu'elle avait en Perse. Jusqu'à la généralisation du couteau et de la fourchette, à la fin du 17ème s., les convives se lavent les mains à l'eau de rose. Celle-ci, comme d'autres parfums, est fabriquée dans les monastères. A Florence, la pharmacie du monastère Santa Maria Novella fournit la famille Medici en essences florales.

   Au 15ème s., les techniques de la parfumerie française sont encore balbutiantes et il faut attendre le règne de François Ier pour que le goût italien en matière d'arts, de mode, d'horticulture et d'architecture, commence à pénétrer en France et génère une influence majeure sur le mode de vie. 

En 1533, son fils Henri II épouse Catherine deMediciL’événement entraîne de profonds bouleversements dans la culture française car la nouvelle reine apporte avec elle tous les arts et raffinements de la Renaissance italienne avec son parfumeur, Renato Bianco et son alchimiste et astrologue, Cosimo Ruggieri

  La région de Grasse, connue pour ses tanneries et ses herbes et fleurs à parfum, devient le centre le plus important du parfum, succédant à Montpellier, asseyant alors sa renommée sur la production de gants de cuir parfumés. Mais dans le beau royaume de France tout le monde ne sacrifiera pas aux coutumes italiennes. Henri IV (1553-1610) notamment les considéraient comme trop mièvres et maniérées et l'une de ses maîtresses dira de lui qu'il « puait comme charogne » ! Grâce à l'action de son épouse, Marie de’ Medici, cette activité se concentra à Grasse qui traita bientôt la rose musquée, le camphre, le gingembre, le clou de girofle, la fleur d'oranger, l’ambre, le benjoin pour parfumer les poudres, les eaux, les bains de bouche, les huiles et les pommades. Une codification sévère réglementant l'activité de parfumeur sera promulguée sous Louis XIV, acte clôturant l’action de Marie de’Medici qui avait prononcé la séparation des Parfumeurs et des Apothicaires.

 Grasse ouvrait alors la voie royale qui devait la conduire au statut de capitale mondiale des parfums.


  CONCLUSION

 Raconter le parfum c’est raconter l’histoire de toute l’humanité, depuis le lointain néolithique jusqu’à nos jours.

 En 1727, à l’université de Cologne, Gian Paolo Feminis établissait la formule de l’Acqua Mirabilis. En 1806, dans la même ville, Jean Marie Farina héritait de la formule et créait « l’Eau de Cologne ».

 En 1862 était créée la maison Roger & Gallet, détentrice et propriétaire de la signature Jean Marie Farina.

 Repliée au fond de sa lagune, isolée dans une mer fermée qui l’avait définitivement écartée des routes nouvelles du grand commerce avec les Nouvelles Terres, la Sérénissime avait vécu sa gloire et consommait sa lente et magnifique agonie. Désormais, des armadas de nefs océanes espagnoles et portugaises, en ouvrant d'autres voies maritimes. La Sérénissime avait vécu sa splendeur et sombrait lentement vers l’oubli, étourdie dans les fêtes qui rythmaient sa lente agonie.

 De la splendeur passée il ne resta que le souvenir de l'ivresse du parfum et l’engouement pour le charmant petit flacon en cristal de Venise qui avait séduit toutes les cours d'Europe.