LE PREMIER ART ROMAN                                       Des origines au XII° siècle   Ampleur et puissance d’une architecture maitrisée Gérard Saccoccini

Mercredi 10 novembre 2021.

            En 1818, l’archéologue Charles de Gerville « invente » l’adjectif « roman », aujourd’hui fortement enraciné dans notre vocabulaire, pour définir une séquence particulière de l’histoire de l’art médiéval jusqu’alors englobée, non sans mépris, dans le terme « art gothique » !  

 Une certaine philosophie naturaliste transposait au domaine de l’archéologie une doctrine appliquée à l’étude des langues, établissant que les idiomes « romans » étaient issus du latin et, de la même manière, conduisait à considérer que l’architecture des XIème et XIIème siècle représentait une forme décadente et dégradée de l’art de construire que Rome avait imposé à l’Occident. 

  Alors que le temple romain n’est que le cadre convenu d’une pratique religieuse officielle, mais dépourvue de spiritualité, l’église romane, plus que le cadre d’un discours religieux est elle-même ce discours dont la grammaire et la syntaxe proviennent directement de chaque pierre et de chaque élément de structure.

       La naissance de l’Art Roman s’est opérée dans un total bouleversement des structures sociales à l’avènement du système féodal remplaçant le pesant édifice carolingien. La puissance centralisée sera relayée par un organigramme complexe de fonctionnaires, atomisée en une mosaïque de seigneuries évoluant vers l’indépendance. Phénomène majeur de la civilisation occidentale, l’architecture romane aura la France pour berceau et témoignera de la vigueur inventive d’une jeune civilisation, de sa ferveur religieuse et de son unité induite par la volonté centralisatrice du jeune royaume Capétien. 

      C’est sans doute de la vision de formes animales (et humaines) suggérées par les courbes d’une pierre dans le lit d’un ruisseau, ou d’un os trouvé sur le sol, et que l’adjonction de quelques traits gravés va accuser et révéler, que naquit la sculpture ! C’est probablement de l’assemblage de mégalithes pour recouvrir un dolmen (premier ensemble construit) que prit forme l’idée du linteau ! C’est peut-être ainsi, au lointain néolithique, que l’Homme découvrit l’architecture !  

     A l’orée du IXème s., alors que l’Empire carolingien est à son apogée, se forge un langage stylistique propre, par lequel l’Art Roman propose à l’Occident le formidable apport de sa première grande synthèse. 

  La période préromane, tentera de résoudre les questions d’espace conceptuel en pensant l’édifice dans sa totalité, pour le soumettre à la nécessité d’adaptation à la vie religieuse ou sociale. Elle représente la Genèse de l’Art Roman ! 

  Cet art de construire est né, après une longue gestation nécessaire à l’assimilation des modèles antiques grecs et romains, des apports barbares, byzantins, arabes, mozarabes et arméniens, fondant au même creuset les racines celtiques et les traditions carolingiennes de l’orfèvrerie et de l’enluminure.   

    De la fin du IXème à la fin du XIème siècle (voire au milieu du XII° siècle), se sont exprimés les influences territoriales et les particularismes locaux qui ont conduit à l’élaboration du premier Art roman, qui regroupe à la fois l’architecture et les disciplines de la sculpture décorative, de la statuaire, de la miniature et de la peinture. 

  Apparu progressivement et presque simultanément dans plusieurs régions de l’Occident européen, il est le produit d’une période de grande expansion économique et va se construire à partir des caractéristiques propres à chacun des terroirs. Mais compte tenu d’un certain caractère unitaire affirmé et suffisant pour l’identifier, il sera considéré comme le premier style international. Si son domaine d’expression est essentiellement religieux avec l’adoption du plan basilical pour les églises, il ne faut pas écarter les constructions civiles pour lesquelles se généralise l’emploi de la voûte en berceau. 

      Le 1er juin 989, le Concile de Charroux (près de Poitiers) lançait le mouvement de la Paix de Dieu par l’excommunication de tout individu ayant dépouillé un paysan ou brutalisé un clerc désarmé. Ceci marquait la reconnaissance d’une société dont la richesse était le revenu de la terre. 

  L’Eglise, accablée par le poids des charges politiques qu’elle assumait, pouvait se rénover dans l’obscur abri des cloîtres et insuffler un nouvel état d’esprit. Elle inspira alors une création artistique et littéraire annonçant les renouveaux des siècles suivants et l’arrivée d’un grand style maîtrisé que caractérisent l’ampleur et la puissance !

   Dans le demi-siècle suivant le Concile, des constructions grandioses furent lancées comme Saint-Bénigne à Dijon en 1002, Saint-Rémi à Reims en 1010, puis en 1037, Saint-Pierre de Jumièges et, en 1050, Sainte-Foy à Conques.

       Parce qu’elle couvre une longue période, tenter de définir l’architecture romane peut sembler réducteur dans la mesure où elle rassemble des réalisations d’une très grande variété, échelonnées sur un espace-temps très vaste. De plus, confrontés à une datation incertaine, certains observateurs ont parfois attribué le qualificatif « roman » à des édifices qui présentaient des techniques et des critères romans vraisemblables, comme la voûte en berceau, les chapiteaux historiés ou des arcs en plein cintre. 

  A contrario, bien des édifices romans authentiques reçurent souvent une couverture charpentée en lieu et place d’une voûte. Bien des chapiteaux ne furent jamais historiés. 

  Le berceau plein cintre ne peut à lui seul être retenu comme preuve car il fut moins utilisé que l’arc légèrement brisé, plus fréquent pour projeter une voûte plus élevée, notamment dans l’architecture lombarde.