C’est en 1134, que la mention du lieu-dit La Napoule apparaît, pour la première fois, sous la forme de Epulia, déclinée en Epuliam, Napolam puis Napola. Il s’agissait d’une partie du territoire désigné sous le nom d’Avignonet, une coseigneurie partagée entre les évêchés de Fréjus et d’Antibes. Un premier château fut construit vers 1180 sur le Mont San Peyre, vraisemblablement par les abbés de Lérins et de Maguelonne. Cette position dominante avait déjà été choisie par les Phéniciens, puis les Ligures Déciates, pour contrôler le delta des vallées de la Siagne et de l’Argentière, traversé par la mythique Voie héracléenne.
Le site est détruit en 1387 par Raymond de Turenne, le Fléau de la Provence, lors de la guerre qui l’oppose à Marie de Blois, régente de Provence, épouse de Louis 1er d’Anjou, roi de Naples.
En 1224, l’abbaye de Lérins hérite de tous les droits féodaux attachés au territoire d’Avignonet.
La même année, pour des raisons sécuritaires, le siège de l’évêché d’Antibes est transféré à Grasse, en la cathédrale Notre Dame du Puy. Les droits concédés à l’évêque appartiennent désormais au chapitre ; Avignonet devient le Capitou (le Chapitre), appellation conservée jusqu’à nos jours.
En 1284, l’abbé de Lérins cède Epuliam, partie des terres du castrum d’Avignonet, à Raimond de Fayence, de la famille des Villeneuve-Tourrettes. Erigé en coseigneurie, le territoire figurera sur les actes officiels sous le nom de La Napoule et restera dans le giron de la famille jusqu’au XVIII° siècle.
Les Villeneuve-Tourrettes
Venu du Languedoc, le catalan Giral de Villeneuve obtenait, en 1201, l’inféodation des terres des Arcs et de Trans en qualité de vassal d’Alphonse II d’Aragon, comte suzerain de Provence. Il eut trois fils : l’aîné, dont le prénom était sans doute Giraud, est à l’origine de la branche des Arcs. Le second, nommé Raimond, dont le fils épousera Alix de Blacas, fonda la famille de Tourrettes-lez-Fayence. Quant au cadet, Romée, il est à l’origine de la branche des Villeneuve de Vence. Il fut grand argentier, sénéchal et ami fidèle du comte de Provence Bérenger V, en même temps que le tuteur de sa fille cadette, Béatrix, qu’il maria à Charles, frère de Saint-Louis roi de France, favorisant la mainmise de la famille d’Anjou sur la Provence.
La terrible attaque de Raimond de Turenne qui détruisit Avignonet, rasa le château et soumit au pillage le bourg de Napolam (La Napoule) en 1387, semant la mort, la terreur et les dévastations pendant 12 ans. Cette même année, le 17 juillet, Marie de Blois, comtesse de Provence, épouse de Louis 1er d’Anjou, roi de Naples, confirme par lettres-patentes la juridiction de Guillaume de Villeneuve-Tourrettes, avec privilège de justice, sur les domaines de Tourrettes, Mons, La Napoule et Esclapon. Pour organiser la lutte contre les pirates génois, biotois, niçois et autres barbaresques, le château fut construit ex-nihilo en bordure du chemin littoral, sur le site qu’occupe encore l’édifice actuel. Il fit l’objet d’un acte de paréage entre la famille de Villeneuve et le chapitre de Grasse qui fut autorisé à prélever 2000 ducats pour restaurer le castrum ruiné, édifier une ceinture de murailles, une tour de garde et reconstruire la résidence épiscopale.
Le temps de la prospérité retrouvée –
Pierre le Magnifique En 1630, le cardinal de Richelieu fait renforcer, tout le long du littoral, le système de défense contre les ottomans et prépare activement la campagne de 1637 pour la reconquête des forteresses et des îles aux mains des Espagnols, notamment Lérins.
Dans cette période, le 11 juin 1639, Pierre de Villeneuve vient au monde à Tourrettes. Fils de Gaspard, marié à Marguerite de Grasse, il poursuit l’œuvre de son père qui avait pallié le mieux au dépeuplement consécutif à la peste et aux six dernières années des guerres de religion par deux actes d’habitation. Le premier acte confirmait les franchises octroyées aux 24 familles napoulenques, le second l’installation de 60 nouvelles familles venues de Triolle (Triora), en Ligurie. Ces familles ignoreront tout d’un pays ruiné, de sa mémoire, des noms anciens et des traditions qui disparaîtront.
Obstiné, intelligent et pugnace, il fait ériger sa terre de Tourrettes en comté puis, par arrêt du Parlement de Dijon, le titre de « Premier Marquis de France » lui est adjugé le 8 août 1689 avec la seigneurie de Trans, qui avait été donnée par Louis XII en apanage aux Villeneuve-Trans, en 1506.
Blessé pendant la campagne de Hollande, il quitte le service et obtient la charge de lieutenant du roi en Provence. Il rend à son tour hommage pour le fief de La Napoule en 1674.
Les domaines réunis sont énormes et la fortune que Pierre Le Magnifique accumule donnent une ère de faste à sa maison. Privilège suprême, hérité des Villeneuve-Trans, il est autorisé à ajouter à son blasonnement la fleur de lys d’or au centre de l’écu. A sa demande, une carte de la seigneurie de La Napoule et de ses dépendances a été dressée, en 1690, par le graveur parisien Adam Perelle. Elle montre le bourg et le château de La Napoule entourés par le Riou de l’Argentière et la Siagne ainsi que la grande Roubine qui draine les marécages qui entourent Arluc et sa chapelle Saint Cassien.
Ambitieux et dépensier, Pierre de Villeneuve fait restaurer le château cantonné de quatre tours, deux rondes sur la mer et deux carrées côté terre. Fort avisé et soucieux de se ménager des revenus, il fait creuser un four à chaux, édifier les moulins, construire une savonnerie et aménager, au pied de la grande tour, le four banal qui rappelle l’obligation pour les habitants d’y venir faire cuire leur pain.
Le village reconstruit sur un plan régulier dans sa ceinture de murailles percée de deux portes, à chaque extrémité de la rue Droite (ou Grand’rue), abrite les familles fixées par le contrat d’habitation, soient près de 90 feux qui occupent le bourg et ses écarts immédiats.
Mais ce sont surtout les pêcheries qui assurent la plus grosse partie du revenu, avec leurs calles, leurs madragues, leurs innombrables filets, pontons et engins divers, inscrits dans un droit souverain de la mer complexe dont se prévaut le marquis.
Détenu depuis la fin du 13ème siècle par les Villeneuve, ce droit peu ordinaire évolue à chaque renouvellement de l’acte d’inféodation. Il suscite de nombreuses réactions pour ce qui est de la préférence accordée aux habitants de La Napoule pour l’attribution des calles, souvent contestée par les pêcheurs cannois. En 1521, ces derniers avaient obtenu licence de pêcher, sans restriction, sur les côtes du golfe, moyennant la redevance de 1/24ème des prises au bénéfice du seigneur.
Chaque sorte de pêche, parfaitement documentée, fait référence à la fonction, la destination et le lieu (calle) où elle s’exerce : pour le thon, 6 madragues peu profondes vers lesquelles les bancs de thons sont poussés jusqu’à l’échouage, et tonnaïre,sorte de bassins flottants, formés de filets d’encerclement pourvus d’un chenal d’accès.
Pour les sardines, anchois, maquereaux et espéons, 120 calles rigoureusement définies ainsi que 13 sites pour les rissoles. Sont également réglementés : la pêche aux bordigues, trahins et entremaux pour petits poissons, la pose des nasses, les outils de capture comme tridents et cannes à oursin ainsi que les lieux de mouillage des palangres.
Ce droit, acté avec une grande netteté, s’exerce sur le rivage compris entre l’anse de la Figueirette et les Roubines d’Arluc. Il interdit aux forains et non habitants du fief de pêcher dans l’étendue maritime de cent libans au-delà dudit rivage sans la permission du seigneur. Précisons que ce dernier, une fois l’attribution faite des calles, ne se privait pas d’en allouer d’autres aux pêcheurs cannois pour augmenter ses gains. Le liban désignait la corde de chanvre utilisée dans la pêche à la madrague, mais aussi pour l’amarrage des navires et pour le halage des bacs traversant la Siagne et les étangs d’Arluc. Sa longueur, estimée à 23 brasses, soient environ 40 mètres, permet d’évaluer la distance, à partir du front de mer, au-delà de laquelle il était permis de pêcher librement, à savoir 4 kilomètres.
CONCLUSION
Pierre le Magnifique, homme violent et superbe, mourut en 1697. Il avait dépensé tant et tant d’argent que sa maison était au bord de la ruine. Il avait épousé Marie-Françoise de Bitaud, veuve de fort bonne lignée originaire de Grasse, qui lui donna 13 enfants parmi lesquels Pierre-Jean, le dernier des Villeneuve-La Napoule. Pierre-Jean dut organiser la défense de la Provence, lors de la Guerre de Succession d’Espagne contre une nouvelle invasion des troupes de Victor-Amédée II, duc de Savoie, allié aux Autrichiens. Cela devenait une habitude. Pour faire face aux dettes de son père et aux dépenses de restauration, il mit en vente la seigneurie et le château.
Acheté par Dominique de Montgrand de Mazade, Receveur Général des Gabelles, Conseiller du roi, le château est pillé et abandonné à la Révolution. Il sera transformé en verrerie dans les fours de laquelle brûleront tous ses bois de charpente, avant que d’être racheté par Monsieur Charrier, parfumeur implanté à Grasse à la fin du 19ème siècle, pour échoir enfin à son héritier, Monsieur Béranger, qui le met à son tour en vente pendant la Première Guerre Mondiale.
En novembre 1918, Henry Clews fils d’un riche banquier new-yorkais achète, avec son épouse Mary, un château passablement ruiné pour en faire leur résidence : ils vont consacrer au projet vingt années de leur vie. Ils sont les concepteurs et maîtres d’œuvre d’un curieux mais harmonieux ouvrage néo-médiéval. Henry développe un bestiaire sculpté fantastique orné de devises qui renvoient à des contes de fée et dévoile le romantisme et la complicité d’un couple amoureux, artiste et fantasque (le monogramme de Mary est répété à l’infini).
Once upon a time… Il était une fois une demeure d’éternité : ce fut le vœu des deux époux qui firent bâtir à l’entresol de la tour Mancha, une chambre funéraire avec le caveau dont la dalle est restée entr’ouverte. Au dernier étage, une pièce condamnée où nul ne pénètre accueillera leurs âmes réunies, cent ans après la mort du dernier vivant. Once upon a time…
Henry est décédé le 28 juillet 1937, Mary en 1959, après avoir pris tous deux un rendez-vous romantique pour leurs retrouvailles en 2059. Pour les accompagner, quel plus beau poème aurions-nous pu choisir que celui dont ces vers sont extraits :
Heureux ceux-là qui n’aiment rien !...
Ils ne sont sujets aux traverses,
Aux ennuis, aux peines diverses,
Que souffrent ceux qui aiment bien.
(Marc de Papillon, seigneur de la Source, 1555-1599, grand poète de la Renaissance quoique méconnu)